Accéder au contenu principal

Articles

Tout neuf

Certains jours reviennent lecture collage certaines images se poser sur la page entre nuit et jour j'entends deux battements d'ailes et je vois le pigeon tout près qui me dépasse la fenêtre à mon oreille la page s'envole me fouette sa présence lecture lectures collages décollages j'embrasse le présent Si l'on veut se rendre présent dit Marcel Conche il dit — avant d'écrire — et je le vois encore, l'entends ( Présence de la nature , ici un extrait de l'introduction : ) «  Si l'on veut se rendre présent à la présence de la Nature, ce qui est requis est non pas l'ingéniosité du doute cartésien, mais, au contraire, un supplément de naïveté, par laquelle on revient, en deçà même des évidences communes, à une évidence première, plus immédiate. Certes, Descartes philosophe, comme il convient, à partir de ce qui se montre, mais que se passe-t-il aussitôt ? Il doute que ce à quoi il a affaire, sensoriellement, soit effectivement réel ; il se demande même
Articles récents

Amos Oz, Judas

Un roman c'est une vie. Il m'arrive d'être lourd d'un roman, qui se prend dans mon corps, m'alourdit. Je dirais presque parfois que c'est des enfants que je porte, ces romans. Il me reste quelques pages à lire de celui-ci. Je sens l'accouchement proche. D'ailleurs depuis quelques jours je rêve d'accouchement. Je pense à cette rude épreuve que ce fut de sortir du néant pour vivre — d'après ce qu'on m'a rapporté. A présent c'est ma vie qui donne vie au livre — auquel quelqu'un d'autre a donné vie une première fois. C'est donc plutôt que ma vie — ma pensée, mon imagination — éveille sa vie de la dormance, où elle était et où, sans doute, elle retournera, la lecture finie. Vous allez donner vie à ce roman, à votre tour, il va se gonfler de votre souffle, pendant que vous allez absorber le sien. Le livre parle de cela, tout en le faisant. Tous les personnages le font, la vie, dans ce roman, n'a pas de frontières. D'aill

Dernier né

Je lis le livre de Mia Couto   La pluie ébahie  Je lis une page, très lentement. C'est moi qui suis ébahi. Je m'arrête parce que cette lumière m'envahit. Je la laisse faire son chemin, le temps de me parler. Une phrase suit une autre et il s'en passe chaque fois plus que dans les pages de la Genèse . Il s'en passe comme dans le ciel véritablement et comme sur la terre. Alors j'observe, je ressens et reçois tout ça. Je monte sur le temps – cavalier du cheval du temps. Je lis lentement. Je suis bien installé sur une chaise pliante de bois blanc entre les plantes que je regarde et qui m'étonnent, la bonne chaleur de l'été et les bruits de la vie – des machines surtout, mais aussi des voix, et quelques oiseaux – derrière mon dos. Je me lève souvent de ma chaise, je vais faire quelques pas, je digère, je laisse passer comme une journée et son crépuscule et son matin et je reviens, frais, à ma lecture. Dégustation. J'apprends à chaque fois l'équivalent

Le temps de lire

Narcisse ne peut lire ni écrire. Privé d'écho, il se cogne à lui-même. Mais dans la pénombre de la lecture, il y a la nage des langues, la même où tu écris, celle sans limites, celle de la transmodalité, le sens commun, dit François Roustang. Et avant cela, l'organe du toucher, le toucher du corps, le corps déjà là. Avant que tu n'ouvres les yeux, Psyché anime ton corps. Tout encore se relie à tout, il n'y a pas de discontinuité. Tu es Psyché l'amoureuse avant qu'elle n'ait ouvert les yeux sur Amour qui la visitait incognito chaque nuit. Avant de connaître déjà tu es touché, tu touches et tu avances, tu devines, tu te meus, formes et transformes, tu lis et tu écris. Comme dans la peinture du petit enfant, qui est un parcours, que seuls la lassitude ou le regard de l'adulte arrêteront. François Roustang, dans La fin de la plainte, fait intervenir ainsi Narcisse et Psyché : « Narcisse doit être exclu du psychisme en tant qu'il joue son rôle. Il

Dans un bel acte manqué

    L'institutrice du Plessis-Bouchard était une «grande dame». Elle s'appelait madame Defrance et ne faisait pas chanter Maréchal, nous voilà , mais La Marseillaise . Mon père, le petit Parisien nouvellement arrivé, s'adaptait difficilement. Un jour, il prit en cachette dans l'armoire, en partant, tout un paquet d'images réservées aux bons élèves. Dans un bel acte manqué, il les laissa tomber juste au moment où il passait devant madame Defrance. Elle lui dit simplement d'aller les remettre dans l'armoire. Par la suite, il devint bon élève et accumula les images et les prix, de magnifiques éditions Hetzel dont les gravures me firent rêver à l'adolescence. Anne Gorouben, 100 Boulevard du Montparnasse Dans un bel acte manqué , cette expression émouvante, dans sa lucidité, dit merveilleusement ce que dit aussi le dessin : cette tendresse pour le personnage dessiné (en réalité un des protagonistes de la mémoire de l'artiste : l'enfant qui deviendra s

L'espace du dedans

Vers la fin du IV e siècle de notre ère, le jeune Augustin, professeur de rhétorique latine à Carthage, quitte l'Afrique pour Rome, puis pour Milan où il rencontre Ambroise. Ambroise était un lecteur extraordinaire. "Quand il lisait, raconte Augustin, ses yeux parcouraient la page et son cœur examinait la signification, mais sa voix restait muette et sa langue immobile. N'importe qui pouvait l'approcher librement et les visiteurs n'étaient en général pas annoncés, si bien que souvent, lorsque nous venions lui rendre visite, nous le trouvions occupé à lire ainsi en silence, car il ne lisait jamais à haute voix." * Cette façon de lire, relatée pour la première fois par Augustin dans ses Confessions, ne deviendra véritablement habituelle en Occident que vers le Xe siècle. Lire à haute voix en présence d'une autre personne impliquait une lecture partagée, délibérément ou non. Pour Ambroise, lire avait été un acte solitaire. "Peut-être craignait-il, s'

Les mains vides

Quand il est parti, il a laissé libre le loup. Libéré la mère de son poids. Laissé les mots à la nuit. Maintenant, le matin, il regarde les mots de la nuit. Les mots du loup. Martin s'est éveillé avec le jour. Bientôt les bruits de la rue entrent à flots à travers la fenêtre et l'épais rideau qui est comme une peau – encore quelques instants. Il reste à contempler les mots de la nuit, leur tempête qui s'éloigne, leur architecture, leur île. Geneviève l'appelle au téléphone juste pour lui dire que le livre qu'il lui a prêté – dimanche il l'a vue s'enfoncer dedans, vite assombrie, presque écrasée – que ce livre est très beau, très émouvant, elle le remercie. Il revoit cet instant où il pose les yeux sur le titre du livre en le lui tendant et dit spontanément, surpris lui-même de s'entendre, je ne suis pas venu les mains vides. Car c'est (mais il n'y pensait plus) Les mains vides , de Maria Borrély. Lui était à Cuba, sans doute, avec sa jam