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Articles

Affichage des articles du mars, 2015

Fantaisie

Si l'auteur court devant, c'est dans les mots qu'il court. Il ne se laisse pas rattraper par cette jouissance, encore dans son ombre, comme s'il la narguait, la provoquait. A mesure, elle grandit et ne le lâche pas. "L'inconscient structuré comme un langage" le fait produire du langage. L'inconscient – désir de langage – désir de verbe était au commencement (de l'humanité), et non le verbe. Pour l'instant il court, dans le langage, son ombre derrière lui. Il se sent créer, il se sent double et uni. Libre d'une liberté prise et reçue, à la fois. Pas d'autre bonheur, ni plus grand. Là-dedans baigne aussi la lectrice, celle qui ne court pas, elle prend le livre en elle. C'est en elle qu'elle le fait courir. Alors, de nouveau, quelque chose en partage vient exister, quelque chose d'inconnu et de si bien connu pourtant, de désiré. Ils s'en délectent. Ils le respirent. Ils ralentissent le mouvement. Pour que rien ne s'

Et la jouissance ?

... D'un autre côté, il n'y a pas de lecture sans jouissance. Que vous la teniez au fond comme une braise cachée sous l'épaisseur gris tiède à peine sensible au poids ni au mouvement de votre respiration tranquille, mais rouge, prompte à s'aviver, virer à l'orange, se soulever, vous donner un corps chaud de centaure, ses yeux clairs, cavalant ou avalant bien plus large que les lignes. D'une manière ou d'une autre vous ne vous lâchez pas. Et, là encore, vous êtes aussi l'auteur, ou une de ses métamorphoses possibles, puisqu'il ou elle court devant vous, se laissant voir, s'offrant à la substitution, au mimétisme du désir. gravure de Picasso

Générations

Tous les livres de Claude Simon se génèrent les uns des autres. C'est une joie indicible de faire parfois la découverte de l'un dans l'autre, d'une trace précise, ou d'une origine qu'on croit indéniable, comme par exemple, à la fin des Géorgiques celle des vieux papiers peints décollés, des plâtras de la Leçon de choses qui l'avait précédé. Ma lecture de Claude Simon a toujours été marquée par ce phénomène de "génération" mais, en tout premier lieu, c'est le lecteur qui est généré. Lorsque j'avais lu La route des Flandres, un phénomène étrange s'était produit, en refermant le livre (qui m'avait passionné) je fus brusquement saisi d'une "révélation": je n'avais rien compris ou plutôt je venais de comprendre qu'il s'agissait d'autre chose, plus unique, plus formidable, que ce que j'avais cru lire, j'ai donc repris ma lecture "en boucle !" croyant, en quelque sorte, le lire à mesure dep

Le texte révélé

Le don d'émerveillement n'est-il pas notre don le plus précieux ? Il ouvre la voie du bon heur, son presque synonyme. Il nous met à la hauteur du monde, et nous fait son égal, son semblable, son intime. Mieux encore, nous pouvons parler pour lui, à sa place, nous sommes son interprète. Sans nous que serait-il ? Sans nous lecteurs, interprètes, complices, co-créateurs ! "Au commencement était le Verbe". Non pas le son du tonnerre, mais le big bang de la parole. L'alpha et l'oméga de la création seraient le texte. Mais un jour au fil de l'eau passe un message dont on ne connaît pas la langue et qui nous émerveille. Ce texte-là, encore vierge de nos grammaires, comme tombé du ciel, ce texte soudain révélé vient à notre rencontre. L'homme ancien, au verbe dominateur, en donnera l'interprétation, poétique ou divinatoire, scientifique ou religieuse, mais l'homme d'aujourd'hui, le photographe, le regardeur, le préservera peut-être dan

Les Géorgiques

Entrer dans les Géorgiques ne se fait pas sans donner naissance aux Géorgiques. Les saisons, les terres, les générations, les âges, les corps, tous les matériaux d'un monde viennent naître dans l'écriture. Ils sont aussitôt des présences, se chargent d'inconnu, de potentialités, d'histoire, de relations. Ce sont des peuplements qui viennent occuper le terrain de votre lecture, et se nourrir de sa substance. Et comme le livre va être la reconstitution (ou la construction) de quelque chose comme d'une histoire ou plutôt d'un croisement d'histoires complexes et elles mêmes chargées d'inconnu, la lecture va suivre cette même méthode. Le livre s'ouvre par la description d'un dessin (on dirait une étude de David, où les figures, deux hommes, semblent inachevées) et vient cette phrase (est-ce un avertissement ?) " Il est évident que la lecture d'un tel dessin n'est possible qu'en fonction d'un code d'écriture admis d'avanc