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Affichage des articles du septembre, 2018

Les mains vides

Quand il est parti, il a laissé libre le loup. Libéré la mère de son poids. Laissé les mots à la nuit. Maintenant, le matin, il regarde les mots de la nuit. Les mots du loup. Martin s'est éveillé avec le jour. Bientôt les bruits de la rue entrent à flots à travers la fenêtre et l'épais rideau qui est comme une peau – encore quelques instants. Il reste à contempler les mots de la nuit, leur tempête qui s'éloigne, leur architecture, leur île. Geneviève l'appelle au téléphone juste pour lui dire que le livre qu'il lui a prêté – dimanche il l'a vue s'enfoncer dedans, vite assombrie, presque écrasée – que ce livre est très beau, très émouvant, elle le remercie. Il revoit cet instant où il pose les yeux sur le titre du livre en le lui tendant et dit spontanément, surpris lui-même de s'entendre, je ne suis pas venu les mains vides. Car c'est (mais il n'y pensait plus) Les mains vides , de Maria Borrély. Lui était à Cuba, sans doute, avec sa jam

Maria

Le soleil ne s'en va pas ce soir, il reste flotter au-dessus des rues, lézarder sur les murs. Le soleil doré dans lequel Martin s'est assis devant la gare. Ce livre l'habite. Il habite dans ce livre autant que dans ces rues. Il se promène dans les phrases tout en regardant les gens qui passent devant lui, la plupart souriants, joyeux, et il comprend que c'est vendredi soir, la fin de semaine. Il lit encore Maria Borrély. Il lit plusieurs fois ses petits livres. Il ne lui en manque qu'un. Dommage qu'elle n'ait pas plus écrit. Il voudrait la voir, la connaître, parler avec elle. C'est une femme comme il aime. Il aime cette femme, née exactement vingt ans avant son père. Il a remarqué cette date : elle avait 19 ans quand elle a pris son poste d'institutrice débutante dans ce village de l'Ubaye. L'année d'après mon père est né, se dit Martin, en 1910. Elle pourrait être sa mère, celle qu'il aimait tant. La grand-mère de Martin, morte q

Les Reculas

La saison change. Il va vers cinq heures du soir marcher dans les rues, la tête tassée, raidie de travail. Le temps est doux, le soleil joue une partie de cache-cache nonchalante avec un ciel délavé comme des fleurs de roses. Il a mis un petit gilet par-dessus la chemisette d'été et respire en dansant sa marche d'oiseau léger. Traversant un parc, il croise une petite fille qui marche dans l'herbe quelques pas devant sa maman, à qui elle parle sans se retourner, le visage joueur, encore plein des jeux partagés d'écolière, et la jeune maman, dans l'élan gracieux, se met à compter, posément, un, deux, trois, jusqu'à quinze. Il y a de grands arbres juste devant, un beau tronc élancé de tilleul que la petite a sûrement repéré pour se cacher derrière. Martin va s'asseoir sur un banc. Il lit, il savoure plutôt, lentement, comme un mets, une page des Reculas de Maria Borrély. Faites pour porter trente chutes de neige, les maisons sont basses, au toit plat et c