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Articles

Affichage des articles du août, 2015

Fantaisie

Qu'est-ce qu'un livre lu ? C'est un amour vécu, jusqu'à sa fin. On dit communément une page tournée pour dire qu'on est allé jusqu'au bout, et que quelque chose d'autre peut commencer. C'est important de finir. Pas toujours facile. Angoissant, même. Je connais quelqu'un qui ralentit sa lecture en voyant les dernières pages arriver. Et d'autres qui sont tellement anxieux de ce moment qu'ils ne peuvent commencer un livre sans aller voir — ou entrevoir — la dernière page. Je connais beaucoup de boulimiques dont la vie pour moi est un mystère : où mettent-elles toutes ces vies qu'elles ont avalées ? Sont-elles archivées dans leur mémoire comme leurs souvenirs ? Il est déjà si difficile de finir un amour, de n'en garder aucune trace sensible. Je comprends maintenant pourquoi l'histoire du vieux qui lisait des romans d'amour s'ouvre sur la séance du "dentiste". Henri Rousseau, surpris, 1891

On dit que les orchidées

Cette phrase tronquée qui fait le titre se réfère aux orchidées qui poussent dans les canopées sans avoir de racines au sol. J'évoque ce livre écrit par Anne da Costa parce que je le croise sur mon chemin et qu'il est d'une grande opportunité. "Récit d'une femme née sous X" en est le sous-titre. C'est peu de dire que sa mère inconnue interdite lui manque désespérément. L'émotion y est si intense qu'il n'est pas possible de la ressentir profondément. Mais ce n'est pas le but recherché — et c'est aussi pourquoi c'est un bon livre. Un livre qui vous apprend quelque chose, beaucoup de choses. Et parmi elles la plus urgente : la société doit se construire à partir du bas ; de la même manière toute l'énergie, tout le génie, tout le savoir élaboré par l'univers naît auprès de la terre, à chaque plante qui pousse, à chaque enfant qui naît, à chaque mère qui le découvre, à chaque homme qui lui construit un berceau, à chaque paysan,

Celle qui s'en est allée

Je lis. Edgar Morin dit la continuité de la pensée et de la vie — d'une façon implacable de lucidité longuement assumée. Cette vie-pensée offerte au lecteur serait presque insupportable d'émotion si une complexe et savante construction ne venait l'aider à mettre une distance théorique entre les deux. Heureusement, quelque chose comme le bonheur perdu revient toujours les tenir ensemble. La vie, la pensée, la mort, le monde. Elle est retrouvée . Il est chez l'un ou l'autre des amis — enfin. « C'est au pied de la montagne Sainte-Victoire, chez mes amis Nughe, que j'achevai ce premier plan de l'édifice, pénétré, comme je l'ai écrit, par "l'énergie de cette montagne de pierre que je contemplais à chaque fois que je levais les yeux de ma rédaction". » à propos de L'aventure de La Méthode, 2015 photo r.t

Promenade

Je rentre en marchant. Qui me croira si je dis que chaque jour le bonheur grandit et se métamorphose... En fait, s'élargit. Comme l'univers, il est en expansion. Mais qui peut se soucier de mon bonheur, et pourquoi le dire ?...  Aussi, ce n'est pas le dire, mais le chanter, ou peut-être, mieux encore, le laisser chanter. Le livre est ouvert et de temps en temps l'horizon de l'eau, ou celui du ciel, viennent s'y étendre. Et tout respire différemment. Quelqu'un dialogue dans ce livre, sa voix se met à reprendre la conversation, préciser, actualiser sa pensée. Il a laissé les reflets gris, les reflets argent, jouer un long chorus sur la rivière et le timbre parfait d'un oiseau se place. Ce livre sait avancer, se poser pages ouvertes ou fermées ou même voler ou danser, me rappeler quand je fais mine de l'oublier comme une chatte la souris qu'elle destine à ses petits – pendant que je regarde une troupe de canards nager, voler, et l'un plonge

Tous les matins du monde

" La lumière du soleil peinait à percer les nuages, qui s'embrasaient ; à travers l'épaisse canopée, le ciel nous apparaissait comme un million d'étincelles de mercure bordées, autour des plus grandes trouées, d'une dentelle de feuillage. Les branches se sont mises à bouger, les gouttes d'eau à tomber. Un bras de bonobo a brièvement surgi. Une silhouette marchait sur une branche avec un balancement d'épaules d'apparence humaine.Un bonobo adulte a laissé échapper un hululement aigu, et un bébé a poussé un gémissement semblable à celui d'un bébé humain, mais deux ou trois fois seulement, avant de se taire. La canopée a cessé de remuer.Léonard nous a expliqué que les bonobos attendaient sur les plus hautes branches que la lumière du soleil les réchauffe. Comme nous, ils sont lent à se lever les matins pluvieux. Je me les suis imaginés, perchés sur les énormes branches au faîte de cet arbre s'élevant au-dessus du reste de la forêt. Ils contempla