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Tous les matins du monde

" La lumière du soleil peinait à percer les nuages, qui s'embrasaient ; à travers l'épaisse canopée, le ciel nous apparaissait comme un million d'étincelles de mercure bordées, autour des plus grandes trouées, d'une dentelle de feuillage. Les branches se sont mises à bouger, les gouttes d'eau à tomber. Un bras de bonobo a brièvement surgi. Une silhouette marchait sur une branche avec un balancement d'épaules d'apparence humaine.Un bonobo adulte a laissé échapper un hululement aigu, et un bébé a poussé un gémissement semblable à celui d'un bébé humain, mais deux ou trois fois seulement, avant de se taire. La canopée a cessé de remuer.Léonard nous a expliqué que les bonobos attendaient sur les plus hautes branches que la lumière du soleil les réchauffe. Comme nous, ils sont lent à se lever les matins pluvieux. Je me les suis imaginés, perchés sur les énormes branches au faîte de cet arbre s'élevant au-dessus du reste de la forêt. Ils contemplaient l'océan vert qui les entourait, clignant lentement leurs yeux sombres et limpides. Il était difficile de ne pas s'émerveiller devant cette expérience immémoriale : une créature très semblable à nous vivant au milieu d'éléments si extrêmes, avec sa famille, assise paisiblement à la frontière de la forêt et du ciel. Levant les yeux, j'ai été pris de vertige et j'ai dû baisser le regard un moment avant de pouvoir faire un pas. Au-dessus de ma tête, la canopée sombre faite de feuillages entrecroisés semblait liquide. Le ciel brillait au travers comme un reflet de lumière dansant sur la surface trouble et profonde d'un puits. À chaque geste des bonobos, les feuilles tremblaient comme si on avait jeté un caillou dans l'eau."  

Texte extrait du livre de Deni Béchard, Des bonobos et des hommes, écosociété, Montréal, 2014 
auquel j'ai ajouté le titre de Pascal Quignard, avec la photo du jour naissant devant moi et l'émotion de la lecture quand elle fait résonner un mystère archaïque.
photo r.t

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