Accéder au contenu principal

Articles

Affichage des articles du août, 2014

Le silence du héron

Ma remarque préférée à propos de la lecture, je la tiens de Mircea Eliade, j'en ai malheureusement perdu depuis longtemps la référence et oublié les termes exacts, à force de les avoir adoptés, utilisés et servis à toutes les sauces. En substance, il remarquait qu'on a tort quand on croit que le livre communique quelque chose à son lecteur, car en réalité c'est le lecteur qui communique avec le livre. Oui, en vérité la lecture c'est l'acte du lecteur qui entre en communication avec le livre. Quelle évidence ! Le livre n'est qu'une série de signes inertes et nos neurones sans façons vont se précipiter à leur rencontre, même nos plus intimes synapses vont entrer en contact, leur murmurer nos secrets ou peut-être engager avec eux les conversations les plus débridées... Toujours est-il que le lecteur entre dans cette forêt des signes et en éveille les arbres, les oiseaux, et tous les habitants, plus encore qu'elle n'imaginait pouvoir en contenir. Le l

Le pont

Nous partagerons le silence. Plutôt que de prendre un café. Ainsi sont nos rares rencontres, chez l'un, chez l'autre — des pauses silence, comme en musique. On arrête un instant de lire. La musique se suspend. Le crayon s'immobilise. Non pas que je prenais des notes, comme le suppose l'apprentissage, mais parce qu'en écrivant je ne cesse de lire, que j'écris à l'intérieur de lire, que tout n'est d'abord que lecture, écoute, perception du monde où nous baignons. Comme la musique, la lecture vaut par ses silences — ses vrais moments de pleine entente. Quand c'était moi qui allais chez Andreas, autrefois — trois fois par semaine — j'attendais dans la cour parfois vingt ou trente minutes avant que le bruit de la chatte dévalant l'escalier ne me donne le signal pour m'approcher de la porte qui s'ouvrait en libérant la noire féline lancée sur les marches du perron et le sentier descendant à la rue. Selon les périodes c'était un

L'espace

J'ai ouvert le livre à la page du balcon, me suis bien installé dans la page ; siège de jardin en bois laqué blanc, repliable, bien à ma taille, côtoyant les plantes fleuries. Les feuilles tombent de chaleur, toutes molles, se penchant comme des chiffons verts alanguis, saturés de jaune ; mais au bout de certaines des tiges une petite tête vaillante, encore minuscule hérissement, préfigure la fleur. D'autres ont déjà sorti de ce petit toupet étoilé le fuseau qui enferme ou commence à laisser sortir le rouleau pourpre d'une fleur bientôt déployée, la fleur d'hibiscus, radieuse et miraculeuse, qui régnera tout un jour avant de replier sa jupe autour d'elle délicatement, très lentement, comme on referme un bonheur passé. Le soleil dans mon dos déborde de la fenêtre ouverte et s'étale sur la page, en même temps que le bruit grave, grondant, crissant, grinçant du moteur qui drague sur la rive. J'aime ce bruit aussi, qui fait partie du soleil qui po

Une thérapie

Il n'y a pas — que je sache — de thérapie par l'écriture, pas de méthode, de discipline, de savoir en ce domaine. L'écriture, pourtant, se fait thérapie en nous libérant de nous-même, plus précisément de ce qui n'est que nous-même, qui se constitue à l'intérieur d'une enveloppe qui nous isole de l'extérieur. Cette conscience de soi (pourquoi ne pas l'appeler ainsi) peut céder sans qu'on y prenne garde : dans la rencontre de l'autre, du paysage, de la nuit étoilée, d'un animal... d'une rêverie... (quand elle ne se rappelle pas à l'ordre, aussi facilement !) elle cède, assez souvent, même... plus de conscience de soi alors mais une grande brèche ouverte sur l'extérieur... en écrivant, parfois, en jardinant, en travaillant, en jouant de la musique... dans le total oubli de soi, elle cède. Quand cela se passe, l'extérieur (l'autre, qu'il soit humain, animal, chose) a trouvé la faille et s'y est engouffré, c'e