J'ai ouvert le livre à la page du balcon, me suis bien installé dans
la page ; siège de jardin en bois laqué blanc,
repliable, bien à ma taille, côtoyant les plantes fleuries. Les feuilles
tombent de chaleur, toutes molles, se penchant comme des chiffons verts
alanguis, saturés de jaune ; mais au bout de certaines des tiges une petite tête
vaillante, encore minuscule hérissement, préfigure la fleur. D'autres ont déjà sorti de ce petit toupet étoilé le fuseau qui enferme ou commence à laisser sortir le rouleau
pourpre d'une fleur bientôt déployée, la fleur d'hibiscus, radieuse et
miraculeuse, qui régnera
tout un jour avant de replier sa jupe autour d'elle délicatement, très
lentement, comme on referme un bonheur passé.
Le
soleil dans mon dos déborde de la fenêtre ouverte et s'étale sur la
page, en même temps que le bruit grave, grondant, crissant, grinçant du
moteur qui drague sur la rive. J'aime ce bruit aussi, qui
fait partie du soleil qui pousse contre mon dos. Cela ne m'empêche pas de
lire, le livre sur ma cuisse, le papier sur le livre, les mots que j'y
écris ou dessine à la pointe du crayon.
C'est un palier plutôt qu'un balcon puisqu'intérieur, au sommet de l'escalier dans la petite maison, parmi des arbustes en pots, des fleurs, des cailloux. Tout à l'heure des portes s'ouvriront ; l'une des deux portes plus exactement, celle de l'entrée, et Andreas m'invitera à entrer.
Il ne dira rien, ni moi non plus.
Il s'assiéra dans le fauteuil, moi je m'allongerai sur le petit lit. Je ferai silence.
J'ai tourné la page. Il y a le héron, devant moi. Le silence du héron est différent. Il est plein de poids et d'espace. Le héron tient un vaste territoire dans son silence. Depuis le sol de terre sensible où il soulève sa patte palmée, l'air que traversent sans bruit ni violence des corbeaux voisins, jusqu'aux confins discrets de tout ce qui est attentif à ne pas déloger le grand oiseau si beau tout près de l'eau, dans l'ovale de son corps fuselé comme une amande, sombre gris, tête comme l'œil des dieux égyptiens, mystérieux, indéchiffrable et tendre barque portée par la ligne mobile d'un long cou délié comme le vent. Il le replie comme un bras puis l'allonge, dessinant à nouveau dans l'espace la grâce de son profil finement attentif. Il me laissera longuement l'observer avant de déployer ses ailes, les couler en vagues lentes dans l'air et traverser le lac au ras de l'eau ; j'ai pu deviner longtemps encore sur l'autre rive sa silhouette animale à peine mobile auprès des arbres. Quand il est revenu de mon côté, cinq ou six petites hirondelles étaient apparues, joueuses, piquant la surface, l'éclaboussant pour quelque insecte. J'entendis sans voir, à couvert derrière les arbres, le héron percuter de son bec l'eau qui fit un drôle de son boisé et maintenant l'onde émet ses cercles magiques allant s'élargissant sur la surface silencieuse.
Je marche pieds nus dans l'herbe, faisant encore provision d'une foule de perceptions et de quelques menus objets qui viennent ou viendront glisser sur la page.
photos r.t
C'est un palier plutôt qu'un balcon puisqu'intérieur, au sommet de l'escalier dans la petite maison, parmi des arbustes en pots, des fleurs, des cailloux. Tout à l'heure des portes s'ouvriront ; l'une des deux portes plus exactement, celle de l'entrée, et Andreas m'invitera à entrer.
Il ne dira rien, ni moi non plus.
Il s'assiéra dans le fauteuil, moi je m'allongerai sur le petit lit. Je ferai silence.
J'ai tourné la page. Il y a le héron, devant moi. Le silence du héron est différent. Il est plein de poids et d'espace. Le héron tient un vaste territoire dans son silence. Depuis le sol de terre sensible où il soulève sa patte palmée, l'air que traversent sans bruit ni violence des corbeaux voisins, jusqu'aux confins discrets de tout ce qui est attentif à ne pas déloger le grand oiseau si beau tout près de l'eau, dans l'ovale de son corps fuselé comme une amande, sombre gris, tête comme l'œil des dieux égyptiens, mystérieux, indéchiffrable et tendre barque portée par la ligne mobile d'un long cou délié comme le vent. Il le replie comme un bras puis l'allonge, dessinant à nouveau dans l'espace la grâce de son profil finement attentif. Il me laissera longuement l'observer avant de déployer ses ailes, les couler en vagues lentes dans l'air et traverser le lac au ras de l'eau ; j'ai pu deviner longtemps encore sur l'autre rive sa silhouette animale à peine mobile auprès des arbres. Quand il est revenu de mon côté, cinq ou six petites hirondelles étaient apparues, joueuses, piquant la surface, l'éclaboussant pour quelque insecte. J'entendis sans voir, à couvert derrière les arbres, le héron percuter de son bec l'eau qui fit un drôle de son boisé et maintenant l'onde émet ses cercles magiques allant s'élargissant sur la surface silencieuse.
Je marche pieds nus dans l'herbe, faisant encore provision d'une foule de perceptions et de quelques menus objets qui viennent ou viendront glisser sur la page.
photos r.t
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