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Le silence du héron

Ma remarque préférée à propos de la lecture, je la tiens de Mircea Eliade, j'en ai malheureusement perdu depuis longtemps la référence et oublié les termes exacts, à force de les avoir adoptés, utilisés et servis à toutes les sauces. En substance, il remarquait qu'on a tort quand on croit que le livre communique quelque chose à son lecteur, car en réalité c'est le lecteur qui communique avec le livre.
Oui, en vérité la lecture c'est l'acte du lecteur qui entre en communication avec le livre. Quelle évidence ! Le livre n'est qu'une série de signes inertes et nos neurones sans façons vont se précipiter à leur rencontre, même nos plus intimes synapses vont entrer en contact, leur murmurer nos secrets ou peut-être engager avec eux les conversations les plus débridées... Toujours est-il que le lecteur entre dans cette forêt des signes et en éveille les arbres, les oiseaux, et tous les habitants, plus encore qu'elle n'imaginait pouvoir en contenir. Le lecteur fait le chemin, la moitié du chemin comme le disait Montaigne (et Voltaire aussi, qui dans sa préface au dictionnaire philosophique note : "les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-même la moitié").

C'est dans cette forêt que je m'avançais il y a quelques années, accompagnant en écriture, autant que possible, cette lecture curieuse, bavarde, avide, sensible, amoureuse, donc. Cette aventure n'était pas seulement métaphorique, la place du lecteur était loin d'être immobile sur la chaise. Je montrais ses pas foulant les pages, s'ouvrant des chemins, dansant. Car l'être humain, s'il peut faire à certains moments abstraction de son corps, peut aussi jaillir du discours et de la pensée, aussi svelte qu'un félin, lorsque nourri du mumure du livre, il sent l'arbre fleurir ou la pluie propice gorger les plantes.

photos r.t

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Les transformations silencieuses

J'emprunte ce titre à François Jullien. Tout comme son livre emprunte mes jours pour continuer de s'écrire. Aujourd'hui surgit peut-être ce si étrange concept de "transition" qui, comme il l'écrit "fait brutalement trou dans la continuité du changement". Cet entre-temps propre à la pensée occidentale, son symptôme plutôt, qui dit son incapacité à appréhender le mouvement incessant (silencieux) de tout et tous. Une fleur rose a éclos ce matin. Faisait-elle la transition entre l'amour partagé les jours précédents et le présent incertain, inconnu, déjà gagné de futur ? Une rose énorme qui ne quittait pas le ciel de ma fenêtre, même après midi passé quand la pluie fut arrivée. Elle était là, imperturbable comme sont ces sourires de Bouddhas, leurs bouilles épanouies quoi qu'il arrive. C'est ainsi que l'amour fou, celui qui refuse l'impermanence, se veut symbole, dieu, totem. Je revois Max Ernst et Dorothea Tanning, je ressens la...

L'âme

     L'âme adore nager.    Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)    On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.    Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.    L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle a lui, ...

Faufiler

Je ne peux lire un livre sans en écrire quelque chose. La plupart du temps ça ne sera lu par personne, ça ne paraîtra nulle part. Ça apparaîtra pourtant, dans l'espace d'une page griffonnée ou seulement dans le ciel de ma pensée. C'est cet espace qui importe à la lecture, il lui faut prendre les airs, rejoindre le monde extérieur, celui dont le lecteur a la clé, peut ouvrir les fenêtres et les portes. Mon crayon se promène et comme un bec d'oiseau il faufile à l'aventure dans le ciel au-devant de moi. Ainsi les choses m'apparaissent à mesure que je les rejoins, que je les relie à l'espace d'un autre, qui va s'effaçant. En lisant "À l'Écart" d'André Bucher Photographie de Gisèle Freund, Two friends watching the sea,1952