Accéder au contenu principal

Celle qui s'en est allée

Je lis. Edgar Morin dit la continuité de la pensée et de la vie — d'une façon implacable de lucidité longuement assumée. Cette vie-pensée offerte au lecteur serait presque insupportable d'émotion si une complexe et savante construction ne venait l'aider à mettre une distance théorique entre les deux.
Heureusement, quelque chose comme le bonheur perdu revient toujours les tenir ensemble.
La vie, la pensée, la mort, le monde. Elle est retrouvée. Il est chez l'un ou l'autre des amis — enfin.
« C'est au pied de la montagne Sainte-Victoire, chez mes amis Nughe, que j'achevai ce premier plan de l'édifice, pénétré, comme je l'ai écrit, par "l'énergie de cette montagne de pierre que je contemplais à chaque fois que je levais les yeux de ma rédaction". »
à propos de L'aventure de La Méthode, 2015
photo r.t

Commentaires

Articles les plus consultés

L'âme

     L'âme adore nager.    Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)    On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.    Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.    L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle a lui,

Les mains vides

Quand il est parti, il a laissé libre le loup. Libéré la mère de son poids. Laissé les mots à la nuit. Maintenant, le matin, il regarde les mots de la nuit. Les mots du loup. Martin s'est éveillé avec le jour. Bientôt les bruits de la rue entrent à flots à travers la fenêtre et l'épais rideau qui est comme une peau – encore quelques instants. Il reste à contempler les mots de la nuit, leur tempête qui s'éloigne, leur architecture, leur île. Geneviève l'appelle au téléphone juste pour lui dire que le livre qu'il lui a prêté – dimanche il l'a vue s'enfoncer dedans, vite assombrie, presque écrasée – que ce livre est très beau, très émouvant, elle le remercie. Il revoit cet instant où il pose les yeux sur le titre du livre en le lui tendant et dit spontanément, surpris lui-même de s'entendre, je ne suis pas venu les mains vides. Car c'est (mais il n'y pensait plus) Les mains vides , de Maria Borrély. Lui était à Cuba, sans doute, avec sa jam

Faufiler

Je ne peux lire un livre sans en écrire quelque chose. La plupart du temps ça ne sera lu par personne, ça ne paraîtra nulle part. Ça apparaîtra pourtant, dans l'espace d'une page griffonnée ou seulement dans le ciel de ma pensée. C'est cet espace qui importe à la lecture, il lui faut prendre les airs, rejoindre le monde extérieur, celui dont le lecteur a la clé, peut ouvrir les fenêtres et les portes. Mon crayon se promène et comme un bec d'oiseau il faufile à l'aventure dans le ciel au-devant de moi. Ainsi les choses m'apparaissent à mesure que je les rejoins, que je les relie à l'espace d'un autre, qui va s'effaçant. En lisant "À l'Écart" d'André Bucher Photographie de Gisèle Freund, Two friends watching the sea,1952