Accéder au contenu principal

Fantaisie

Qu'est-ce qu'un livre lu ?
C'est un amour vécu, jusqu'à sa fin.
On dit communément une page tournée pour dire qu'on est allé jusqu'au bout, et que quelque chose d'autre peut commencer. C'est important de finir. Pas toujours facile. Angoissant, même. Je connais quelqu'un qui ralentit sa lecture en voyant les dernières pages arriver. Et d'autres qui sont tellement anxieux de ce moment qu'ils ne peuvent commencer un livre sans aller voir — ou entrevoir — la dernière page.
Je connais beaucoup de boulimiques dont la vie pour moi est un mystère : où mettent-elles toutes ces vies qu'elles ont avalées ? Sont-elles archivées dans leur mémoire comme leurs souvenirs ?
Il est déjà si difficile de finir un amour, de n'en garder aucune trace sensible. Je comprends maintenant pourquoi l'histoire du vieux qui lisait des romans d'amour s'ouvre sur la séance du "dentiste".

Henri Rousseau, surpris, 1891

Commentaires

  1. Un amour, un livre peuvent-ils "finir" si l'on veut, de chacun, recueillir une marque sensible et indélébile? Les amours, les lectures ne modifient-ils pas à jamais nos tissus? Beau texte autour de la question des réminiscences.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Votre lecture met le doigt sur le point sensible : les réminiscences sont bien en question ! les amours, les lectures nous modifient, modèlent nos tissus, pâte sensible, et d'autant plus quand les marques disparaissent, entraînées par ce flux de la vie relationnelle que rien n'arrête. Les réminiscences, ces regards en arrière, ont sans doute un rôle mais pour ne pas se tromper de sens... on "tourne la page" !

      Supprimer
  2. Je n'imagine pas les réminiscences seulement comme des regards en arrière. Il y a, pour moi, en elles, des remontées indispensables aux sources...à toutes nos sources, celles du passé le plus lointain, mais aussi celles qui nous ont, dans notre vie, en quelque sorte, "baptisés", si j'ose ce terme que je préfère à "initiés"...Je crois que l'on peut aller à la fois en avant et en arrière...Mais peut-être est-ce une illusion. C'est en tout cas, comme tout ce que nous croyons, le fruit d'un imaginaire.

    RépondreSupprimer
  3. Tout à fait. Un fruit à déguster, selon son goût !

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés

Les transformations silencieuses

J'emprunte ce titre à François Jullien. Tout comme son livre emprunte mes jours pour continuer de s'écrire. Aujourd'hui surgit peut-être ce si étrange concept de "transition" qui, comme il l'écrit "fait brutalement trou dans la continuité du changement". Cet entre-temps propre à la pensée occidentale, son symptôme plutôt, qui dit son incapacité à appréhender le mouvement incessant (silencieux) de tout et tous. Une fleur rose a éclos ce matin. Faisait-elle la transition entre l'amour partagé les jours précédents et le présent incertain, inconnu, déjà gagné de futur ? Une rose énorme qui ne quittait pas le ciel de ma fenêtre, même après midi passé quand la pluie fut arrivée. Elle était là, imperturbable comme sont ces sourires de Bouddhas, leurs bouilles épanouies quoi qu'il arrive. C'est ainsi que l'amour fou, celui qui refuse l'impermanence, se veut symbole, dieu, totem. Je revois Max Ernst et Dorothea Tanning, je ressens la...

L'âme

     L'âme adore nager.    Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)    On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.    Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.    L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle a lui, ...

Faufiler

Je ne peux lire un livre sans en écrire quelque chose. La plupart du temps ça ne sera lu par personne, ça ne paraîtra nulle part. Ça apparaîtra pourtant, dans l'espace d'une page griffonnée ou seulement dans le ciel de ma pensée. C'est cet espace qui importe à la lecture, il lui faut prendre les airs, rejoindre le monde extérieur, celui dont le lecteur a la clé, peut ouvrir les fenêtres et les portes. Mon crayon se promène et comme un bec d'oiseau il faufile à l'aventure dans le ciel au-devant de moi. Ainsi les choses m'apparaissent à mesure que je les rejoins, que je les relie à l'espace d'un autre, qui va s'effaçant. En lisant "À l'Écart" d'André Bucher Photographie de Gisèle Freund, Two friends watching the sea,1952