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Dernier né

Je lis le livre de Mia Couto  

La pluie ébahie 

Je lis une page, très lentement. C'est moi qui suis ébahi. Je m'arrête parce que cette lumière m'envahit. Je la laisse faire son chemin, le temps de me parler. Une phrase suit une autre et il s'en passe chaque fois plus que dans les pages de la Genèse. Il s'en passe comme dans le ciel véritablement et comme sur la terre. Alors j'observe, je ressens et reçois tout ça. Je monte sur le temps – cavalier du cheval du temps. Je lis lentement. Je suis bien installé sur une chaise pliante de bois blanc entre les plantes que je regarde et qui m'étonnent, la bonne chaleur de l'été et les bruits de la vie – des machines surtout, mais aussi des voix, et quelques oiseaux – derrière mon dos. Je me lève souvent de ma chaise, je vais faire quelques pas, je digère, je laisse passer comme une journée et son crépuscule et son matin et je reviens, frais, à ma lecture. Dégustation. J'apprends à chaque fois l'équivalent d'une équipée autour du monde d'un navire des grands découvreurs portugais. Mais je suis accompagné, j'ai mon double, mon héros, le frère de lait que je n'ai pas connu au XVe siècle, de lait, de seigle ou de sarrasin. Il est clandestin, il ne ressemble pas aux maîtres, mais il a une voix pour moi, et une famille, tout un pays dont il porte la mémoire – le bagage lourd et léger – et les graines.
C'est cela ce livre. Le dernier né, le plus beau de mon butin. Je ne vous dirai pas comment il est arrivé, par quelle magie – je crois que j'étais à demi endormi quand nous nous sommes rencontrés, comme on rencontre les livres.

Et il va sur le fleuve. Il va de sa langue du Portugal devenue langue du Mozambique et transformée en langue française. C'est avec ses langues que le texte avance dans le récit et pénètre l'espace des contes à sa manière de reptile ailé, au contact lent et appuyé, soudain, rapide et léger, à l'immobilité parfaite, au déplacement invisible. Il ne traînasse pas, il ne rêvasse pas et vous interdit de le faire. Saudade n'est pas romantisme. C'est juste une tonalité indéfinissable qui sort de cette palette comme le soleil et l'orage alternativement. C'est un mirage qui s'offre entièrement et se laisse oublier.
Pour renaître ailleurs, un nouveau jour, pour refaire tissage de tout.

Illustration : João Nasi Pereira

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