C'est à la fin d'un chapitre assez bref mais très étayé, très dense et, naturellement, éclairant que Marcel Conche a cette échappée poétique d'une grandeur et d'une simplicité qui est son génie propre. Et je suis tout de suite séduit par le terme de "livrée" qui débute ce paragraphe car j'y entends aussi le substantif médiéval que Littré définit ainsi : "Anciennement, vêtements qu'un seigneur, un prince, un roi faisait délivrer aux membres de sa famille et aux gens de sa maison. ~ Habits rappelant par leurs dessins et leurs galons les armoiries du seigneur qui donne ces habits soit à ses gens, soit à d'autres. ~". Mais on parle ici de la Nature. Quoi de la nature, finalement, se révèle, s'expose, dans ce qu'en disent les philosophes, les mathématiciens, les savants ?
« Elle ne s'est livrée qu'autant qu'elle a donné prise à la mesure, à ce qui est vérifiable, quantifiable, restant elle-même en retrait. La science n'atteint pas "la nature intime des choses, dit Roland Omnès, mais plutôt la permanence de leurs relations mutuelles" *. Parce que l'ordre du monde est de nature logique et mathématique, le logos a prise sur la réalité, saisit quelque chose du réseau de règles dans lequel elle est enserrée et saisira indéfiniment toujours plus. Cependant, la Nature en elle-même restera toujours hors d'atteinte, car le logos ne peut saisir ce qui n'est pas logicisable et mathématisable. La Nature est comme un corps vivant qu'enveloppe un vêtement. Le logos scientifique saisira peut-être chaque fibre du vêtement, et comment toutes renvoient à toutes, formant un ensemble beau et harmonieux, mais le vêtement n'est pas le corps de la personne.
Or, la Nature elle-même nous est donnée immédiatement en chair et en os, sous la forme du monde sensible, de sa diversité et de sa profondeur. »
* Philosophie de la science contemporaine, Gallimard, 1994
Marcel Conche, Philosopher à l'infini, Puf, 2005
Photo r.t
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