C'est une page serrée. Le temps y a été comprimé – pas seulement l'espace. Le temps d'un trajet, réduit à deux, trois instants – ouvertures, fermetures, défilements. Le temps d'une vie – ou deux, trois – réduite à un choc, une peur. Le temps d'une mémoire qui a crevé et répandu son encre, son odeur. Cependant que l'espace repoussé, battu en brèche, s'effondre, halète, part en hernie, appuie là où ça fait mal et de partout surgissent encore des cohues d'étrangers, d'affamés, de fats, de rêveurs et d'amoureux. Un beau texte sur facebook pour ajouter à l'exponentielle croissance du monde – de la vie – émergeant comme un bourgeon qui éclate au printemps. Comme dans un tableau de Franz Kline, l'émotion est reconstruite dans son mouvement même, dans la forme et le mouvement qui la contient et la transmet.
Franz Kline, Shenandoah, 1956
Franz Kline, Shenandoah, 1956
Cela fait référence au texte d'Isabelle Bonat-Luciani :
RépondreSupprimerIl y avait ce type dans le tram. Jeune. Avachi. Avachi sur sa meuf. Un type imposant et comme s’il fallait en rajouter, un blouson qui ressemblait à un airbag en cas d’accident. Sauf qu’il n’y a pas d’accident. Même si accidentellement, le type prend tout l’espace jusqu’à ses pieds qui repoussent les tiens vers le bord. Toutes façons, être touchée par lui donne la gerbe. Va savoir pourquoi. Les restes de sa nuit dans sa bouche quand il l’ouvre, probablement. Je me suis enfermée dans mon livre, créant deux espaces, une barrière et un refuge. Jusqu’à ce qu’on passe par la gare. Les vitres sont fermées dans le tram, pourtant, l’odeur d’incendie m’a pris à la gorge et piégé ma mémoire, d’un coup sec. L’appartement avait intégralement brûlé. C’était le soir. En peu de temps. L’aquarium avait explosé, on avait retrouvé les poissons calcinés, c’est ce qui m’avait fait fondre en larmes, le détail de trop, infime au regard du reste. On n’avait plus rien retrouvé, tout était parti. Il ne restait rien que du noir, ce qui était récupérable était définitivement bouffé par l’odeur. Doudou bleu venait lui aussi de quitter l’enfance, parfaitement inutilisable, doudou a mouru cette nuit-là. Il est resté quelque part dans la terreur qu’un jour ça revienne. Quelques minutes et ce noir des semaines et des mois. Et des années. L’odeur est si intacte. 35 ans pour lui donner le nom de ravage. Les odeurs portent des noms. Ce matin, la fille de l'autre côté lisait Nerval, "Les filles du feu".
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