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Retour de l'intruse

Le livre était revenu de l'imprimerie avec une faute d'orthographe sur la couverture. C'était ma faute. J'avais donné le bon à tirer. C'était aussi – je l'ai su tout de suite – la marque de ma faute confondue à celle du personnage, j'avais ajouté ma voyelle muette à l'intérieur du mot que je lui prêtais : éperduement. C'est ainsi qu'il l'aimait, cette gamine de quinze ans, lui le quinquagénaire : avec, à l'intérieur, la marque de sa perte (la sienne propre, irrévocable, plus que de sa disparition à elle, inscrite dès son premier passage fulgurent de mouette rieuse.) Ainsi, ce e muet, dans mon imagination de lecteur, s'était-il ouvert béatement à l'ombre d'une jeune fille en fleur, (par la même occasion, venant me rappeler mon premier amour d'adolescent, perdu presque aussitôt.) Néanmoins, c'était là superfétatoire marque de décadence stylistique, l'inverse de la disparition de Georges Perec. En tous les cas, c'est l'imagination qui permet de lire, d'écrire et d'analyser – le langage, tout langage, pendant ce temps, se meut et se tortille, au milieu, comme une argile, et va toujours plus vite que vous, ou moins vite.

Henri Matisse

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Les transformations silencieuses

J'emprunte ce titre à François Jullien. Tout comme son livre emprunte mes jours pour continuer de s'écrire. Aujourd'hui surgit peut-être ce si étrange concept de "transition" qui, comme il l'écrit "fait brutalement trou dans la continuité du changement". Cet entre-temps propre à la pensée occidentale, son symptôme plutôt, qui dit son incapacité à appréhender le mouvement incessant (silencieux) de tout et tous. Une fleur rose a éclos ce matin. Faisait-elle la transition entre l'amour partagé les jours précédents et le présent incertain, inconnu, déjà gagné de futur ? Une rose énorme qui ne quittait pas le ciel de ma fenêtre, même après midi passé quand la pluie fut arrivée. Elle était là, imperturbable comme sont ces sourires de Bouddhas, leurs bouilles épanouies quoi qu'il arrive. C'est ainsi que l'amour fou, celui qui refuse l'impermanence, se veut symbole, dieu, totem. Je revois Max Ernst et Dorothea Tanning, je ressens la...

L'âme

     L'âme adore nager.    Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)    On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.    Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.    L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle a lui, ...

Faufiler

Je ne peux lire un livre sans en écrire quelque chose. La plupart du temps ça ne sera lu par personne, ça ne paraîtra nulle part. Ça apparaîtra pourtant, dans l'espace d'une page griffonnée ou seulement dans le ciel de ma pensée. C'est cet espace qui importe à la lecture, il lui faut prendre les airs, rejoindre le monde extérieur, celui dont le lecteur a la clé, peut ouvrir les fenêtres et les portes. Mon crayon se promène et comme un bec d'oiseau il faufile à l'aventure dans le ciel au-devant de moi. Ainsi les choses m'apparaissent à mesure que je les rejoins, que je les relie à l'espace d'un autre, qui va s'effaçant. En lisant "À l'Écart" d'André Bucher Photographie de Gisèle Freund, Two friends watching the sea,1952