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L'aveu musical

Je voudrais écrire quelques unes des mille et une sortes de lecture amoureuse. Il y a celle de Maria, qui collectionne les aventures et les garde toutes dans sa maison, ses livres parmi les robes et les froufrous, celle d'Anna qui garde toujours un livre dans son sac, même sans l'ouvrir, juste pour le caresser de temps en temps, celle de celui qui soulève les mots, les phrases pour voir leurs dessous, leurs dessus, les soupeser, les éprouver. Il y a la lecture amoureuse du séducteur, qui aime surtout pour son tableau de chasse, ou son mur de pléiades, ou sa pile de poches qui attendent sagement d'être déflorés, goûtés et sucés, soir après soir, celles qui vous font passer des nuits blanches, ou bleues, ou pourpre ou arc-en-ciel.
Il y a la lecture qui se penche amoureusement sur le livre, et celle qui se blottit plus discrète et aime attendre, celle qui dévore goulûment, celle qui s'abandonne, mais toutes, toute lecture est nécessairement amoureuse, sans toujours se l'avouer. Inconsciente, elle se préserve mieux.
Les mots, ces partenaires intimes, ces chemins cachés ou non, ces tapis volants ou ces barques aux flancs solides, creusés pour qu'on y sente le travail du temps, la sécurité, les peurs, le début et la fin de l'histoire, ces troupeaux ébranlant la terre, ces taureaux, ces chevaux sauvages, ces oiseaux, ces fils d'équilibristes, tout dans le livre répond dans l'instant aux battements du cœur, aux intuitions. Il sait attendre et emporter.
J'ai découvert tout à l'heure, sans y avoir pensé, en écoutant une musique très belle – des chants juifs par Sonia Wieder Atherton au violoncelle - l'aveu musical de ma propre lecture amoureuse, celle que, je crois, à chaque fois je vais chercher, et que j'appellerai : la compagnie profonde. Ce n'est pas toujours que je descends jusqu'à elle, mais toujours je la sais.

photo r.t

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