Accéder au contenu principal

Rire avec les dieux


Søren Kierkegaard a la réputation d'un philosophe des plus sérieux, voire austère. Mais on sait ce que vaut une réputation...
Voici donc le texte choisi par Lucien Jerphagnon pour ouvrir son livre  L'homme qui riait avec les dieux.

Il m'est arrivé quelque chose d'étrange. J'ai été ravi au septième ciel. Là, tous les dieux étaient assemblés. Par grâce spéciale me fut accordée la faveur de formuler un voeu. «Veux-tu, me dit Mercure, la jeunesse, la beauté, la puissance, une longue vie, la plus belle des jeunes filles, ou telle autre merveille parmi toutes celles que vous avons dans notre coffre ? Choisis, mais ne choisis qu'une chose.» Je fus un instant perplexe, puis je m'adressai aux dieux en ces termes : « Très honorés contemporains, je choisis une seule chose, c'est d'avoir toujours le rire de mon côté.» Pas un dieu ne répondit un mot, mais tous ils éclatèrent de rire. J'en conclus que ma prière était exaucée et que les dieux savaient s'exprimer avec goût ; car il eût été malséant de répondre avec un grand sérieux : «Que cela te soit accordé.»

Søren Kierkegaard, Diapsalmata
Fernand Léger, La lecture, 1924

Commentaires

Articles les plus consultés

Les transformations silencieuses

J'emprunte ce titre à François Jullien. Tout comme son livre emprunte mes jours pour continuer de s'écrire. Aujourd'hui surgit peut-être ce si étrange concept de "transition" qui, comme il l'écrit "fait brutalement trou dans la continuité du changement". Cet entre-temps propre à la pensée occidentale, son symptôme plutôt, qui dit son incapacité à appréhender le mouvement incessant (silencieux) de tout et tous. Une fleur rose a éclos ce matin. Faisait-elle la transition entre l'amour partagé les jours précédents et le présent incertain, inconnu, déjà gagné de futur ? Une rose énorme qui ne quittait pas le ciel de ma fenêtre, même après midi passé quand la pluie fut arrivée. Elle était là, imperturbable comme sont ces sourires de Bouddhas, leurs bouilles épanouies quoi qu'il arrive. C'est ainsi que l'amour fou, celui qui refuse l'impermanence, se veut symbole, dieu, totem. Je revois Max Ernst et Dorothea Tanning, je ressens la...

L'âme

     L'âme adore nager.    Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)    On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.    Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.    L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle a lui, ...

Faufiler

Je ne peux lire un livre sans en écrire quelque chose. La plupart du temps ça ne sera lu par personne, ça ne paraîtra nulle part. Ça apparaîtra pourtant, dans l'espace d'une page griffonnée ou seulement dans le ciel de ma pensée. C'est cet espace qui importe à la lecture, il lui faut prendre les airs, rejoindre le monde extérieur, celui dont le lecteur a la clé, peut ouvrir les fenêtres et les portes. Mon crayon se promène et comme un bec d'oiseau il faufile à l'aventure dans le ciel au-devant de moi. Ainsi les choses m'apparaissent à mesure que je les rejoins, que je les relie à l'espace d'un autre, qui va s'effaçant. En lisant "À l'Écart" d'André Bucher Photographie de Gisèle Freund, Two friends watching the sea,1952